Restauration Martin D-28 (1975)

Cette D-28 a été achetée aux États-Unis en 1975. Son premier propriétaire, de nationalité française, l’avait acquise en travaillant là-bas à l’époque. D’après lui, cette guitare a rapidement montré des signes de faiblesses au niveau du manche, ce dernier fléchissant trop sous la tension des cordes, engendrant une action trop haute et par là même occasion, un inconfort de jeu notable. Très vite donc, la guitare aurait été retournée pour un contrôle et d’éventuelles réparations. Bien que la firme Martin soit, sans aucun doute, synonyme d’excellence, cette période du début des années 70 n’est pas réputée comme étant la meilleure, et il n’est pas rare de tomber sur des guitares de cette époque présentant des défauts de structure assez grossiers. Il faut dire aussi que la très forte demande à cette période les a obligés à doubler voir tripler leur production en des temps records.
À la suite de cela, la D-28 est rendue à son propriétaire, le problème paraissant être résolu.

Soigneusement entretenue et protégée dans son étui durant toutes ces années, cette guitare reste aujourd’hui en très bon état de conservation, surpris même par son vernis toujours aussi propre et brillant sur la caisse de résonnance. C’est ce qui motiva le nouvel acquéreur d’acheter cette guitare en 2021, conscient même qu’il y aurait quelques travaux à y faire dessus. La personne m’a fait part alors de son impression et de la nécessité à revoir certains points, que sont: l’angle de renversement du manche à reprendre; la touche présentant des irrégularités importantes et qui n’est peut être pas récupérable; et sa volonté de faire installer dans le manche un truss rod réglable double action, à la place de la simple barre de renfort en acier non réglable.

La D-28 arrivant à l’atelier, un examen plus approfondi est réalisé.
Premier constat, la touche a été décollée dans le passé, on le voit sur ses chants, le vernis est craquelé tout le long. On voit aussi qu’elle a été démesurément affinée sur sa longueur, pour terminée à environ 3,5mm d’épaisseur seulement à la 20ème frette.
De même pour le chevalet qui est étonnamment bas. Son épaisseur est de 6mm, voir même 5,5mm au niveau du mi aigu, alors qu’on devrait être en moyenne à 9mm.

La touche a été décollée au service de réparation : il est fort probable qu’ils aient employés un procédé permettant à un manche trop souple, et non équipé de truss rod réglable, de mieux résister à la tension des cordes. Cela consiste à décoller la touche, contraindre ensuite le manche légèrement vers l’arrière d’une manière ou d’une autre et le maintenir fermement dans cette position, puis recoller la touche en la pressant sur cette face convexe. Une fois la colle durcie et les presses enlevées, l’ensemble conserve en partie sa forme arquée vers l’arrière, et n’est sensé revenir droit que sous la tension des cordes. Cette méthode est certes intéressante mais quelque peu hasardeuse, rendant compliqué par la suite d’éventuels travaux de planimétrie de la touche ou des frettes.

Que penser alors de cette guitare ?

La touche pourrait avoir été affinée de cette manière pour compenser un angle de renversement du manche non adapté à la faible hauteur du chevalet. Ces derniers ont-ils été usinés ainsi à la fabrication, ou bien rabotés par la suite au service de réparation dans le but de baisser l’action des cordes au maximum ? L’erreur étant de vouloir mettre/raboté un chevalet aussi bas sur une guitare à fort tirant, d’ une part il est plus souple et donc sujet à des déformations pouvant être répercutées sur la table d’harmonie; et d’autre part, vouloir trop abaisser les cordes au chevalet, crée une pression moindre sur le sillet, l’acoustique de la guitare s’en trouve alors affectée.

Vous l’aurez compris, tout est à refaire ! Le renversement du manche ayant, en plus, perdu de son angle au fil des années, l’action des cordes est donc un peu remontée. L’état actuel de la guitare rend impossible tous réglages, et ne permet en aucun cas d’exploiter convenablement les capacités sonores de l’instrument. Après une longue réflexion, et l’accord du nouveau propriétaire, il est convenu de remplacer tous les éléments qui posent problème, et de mettre enfin cette D-28 dans une configuration optimale.
Au programme donc :
– Changement de touche
– Installation d’un truss rod double action
– Neck reset
– Changement de chevalet
– Revernissage du manche

C’est parti !
Décollage de la touche : sachant que cette dernière est irrécupérable, elle est défrettée, et grossièrement rabotée plate, cela permet de transmettre plus efficacement la chaleur du fer à la touche, et ainsi de plus vite ramollir la colle.
Au passage, le manche partait bien en arrière une fois les cordes détendues, pour revenir parfaitement droit une fois la touche décollée, avec et sans barre de renfort.
Décollage du manche : de la vapeur est injectée dans la mortaise, toujours pour ramollir la colle et faciliter le démontage. 
Extraction de la barre de renfort : pas simple à retirer, prise dans une colle noirâtre extrêmement dure.

Oh ! un barrage du fond décollé ! Sur quelques centimètres, en son milieu. Rien de bien méchant. Après encollage, des étais sont positionnés à l’endroit voulu, entre le barrage du fond et les barrages de la table. Dès lors, une pression peut être exercée de l’extérieur sans risque, pour bien plaquer le fond sur le barrage pendant le collage.

De retour sur le manche. La rainure d’origine est légèrement reprise à l’affleureuse, afin de la remettre propre pour y coller une pièce rapportée en bois. Ensuite, la face du manche est finement retravaillée au rabot, racloir, puis poncée, jusqu’à retrouver une surface bien plane, et ainsi repartir sur une bonne base.
Puis une nouvelle rainure est réalisée, et le truss rod double action y est ajusté.

Neck reset : le talon du manche est rectifié pour retrouver un angle de renversement correct.
Collage de la touche et assemblage manche/caisse : une fois la nouvelle touche en ébène réalisée, elle est positionnée à sa place et tout est soigneusement contrôlé. Ensuite, la touche est collé sur le manche, puis l’assemblage manche/caisse est réalisé.

Décollage du chevalet : même opération que la touche, il est raboté, chauffé, décollé et jeté dans la boîte « chutes pour marquèterie ».
Nettoyage de la zone de collage : les anciens perçages doivent être rebouchés (ils seront repercés proprement plus tard une fois le nouveau chevalet collé), un passage à l’alésoir est effectué et des chevilles coniques sont insérées et collées. Tout est ensuite affleuré et poncé. A l’intérieur de la caisse, sous le chevalet, la plaque de renfort est aussi contrôlée, affleuré, etc… il faut surtout s’assurer que les boules des cordes viendront s’appuyer sur une surface propre et fiable.

 


Fabrication du nouveau chevalet en ébène, puis collage de ce dernier.

 

Le manche est entièrement décapé au racloir, puis poncé. Viens ensuite la mise en teinte et le vernissage.

La restauration est terminée. Notre D-28 se montre à présent sous son meilleur jour.

Je tenais à remercier le propriétaire actuel de cet instrument d’exception, de m’avoir fait confiance tout au long du processus de restauration, qui se révélait exigeant.